Vous avez décidé de ne plus vous énerver lors de vos repas de famille, à la première remarque sexiste dégainée ? Sage décision. Mais si vous taire reste au-dessus de vos forces, voici une technique à tester pour réagir aux attaques anti-féministes : le trollage.

Canard boiteux féministo-écolo monté·e à la capitale, vous êtes de retour en famille pour les fêtes. Cette année, rien d’incroyable, Covid oblige. Alors ça sera en petit comité avec père, frère·s et/ou sœur·s et un oncle, Patrick, qui ne pouvait décemment pas passer Noël tout seul. Vous le savez. Que l’on soit six, dix ou quinze, on va vous emmerder avec vos convictions féministes. Et ce dès l’apéro.

Vous expliquez à votre famille que vous n’avez pas reçu d’augmentation à cause des absences liées à votre endométriose, maladie qui vous donne des douleurs à vous clouer au lit. “Bôôô la petite nature ! » La bouteille de mousseux est à peine débouchée que Patrick, qui regarde sans doute un peu trop “Pascal Praud-Onpeupluriendire”, dégaine. Premiers yeux levés au ciel. De l’autre côté du plateau de gougères au fromage, pas grand monde pour vous défendre.


Et si cette année on était fatigué·e de répondre et d’argumenter ? Et si on changeait de stratégie juste histoire de voir jusqu’où la peur et la méconnaissance des combats féministes peuvent aller ? Et si on enclenchait notre mode “troll anti-sexistes” histoire d’ambiancer un peu ce repas de Noël ? Vous repensez au compte L’Indéprimeuse, qui a eu la bonne idée de poster sur Twitter : “Pour les fêtes, si vous voulez mettre un peu d’ambiance, écrivez ‘Joyeux Noël·le’ et attendez les réactions.”   Vous esquissez à peine ce raisonnement que déjà, Patrick enchaîne : “De toute façon, vous, les féministes d’aujourd’hui, vous cherchez les embrouilles. Vous nous faites chier avec vos poils. Vous faites que chialer. C’est bon, vous avez l’avortement et l’égalité salariale… Déjà que vous nous avez enlevé les hôtesses du Tour de France cette année.”“Et encore, tu ne sais pas tout Patrick, on ne compte pas s’arrêter là. Tu vois l’écriture inclusive ? Tu te souviens que l’Académie française a rebaptisé LE Covid en LA Covid ? Nous, on veut que ‘le féminisme’ devienne ‘la féminisme’. Voilà. Hasta Siempre la revolution Patrick !”. “Mais à ce compte-là, on va renommer VaissELLE en vaisseIL ? Hahaha.” “Et bien pourquoi pas Patrick. Ravie de voir qu’on peut enfin se mettre d’accord sur ce point et se comprendre.” Dommage, pas de mini croque-monsieur à l’apéro cette année. 


Avec cette discussion à bâtons rompus, même pas eu le temps de manger un roulé aux épinards que c’est déjà le temps de se mettre à table. Comme tous les ans, papa a préparé sa choucroute de Noël. Des saucisses, de la bière, du chou et des patates. Miam ! “Di’ don’, elle aime la saucisse ta fille !”.


Rappelez-vous : vous avez décidé de mettre votre plus beau ciré jaune cette année. Les cordons de la capuche sont remontés au maximum. Aucune insulte ne vous atteindra et elles iront irrémédiablement rouler sur l’imperméabilité de la toile cirée.
“J’en bouffe même au petit déj. D’ailleurs, avec mes potes néo-féministes, on a même prévu une expédition le 20 janvier dans les rues de Paris avec nos masques de Fantômette, pour aller couper des couilles pour l’accompagnement. Ça se garde super bien au congélateur ! ”. Petit blanc. Pas dans le verre. Et rire gêné de votre frère qui replie soudainement son manspreading ou « syndrome des couilles de cristal » (tendance des hommes à beaucoup trop écarter les jambes et à prendre toute la place).


À cet instant précis, pas question de laisser retomber le soufflé. Vous enchaînez : “T’as jamais entendu parler du complot feministo-maçonique ? Ah bah si j’te jure. Finkielkraut et Bruckner nous ont démasqué·es donc je peux t’en parler avec d’autant plus de liberté. Notre projet c’est la gynocratie. En fait, nous ce qu’on veut, ce n’est pas vraiment l’égalité. On veut juste prendre votre place. Toi, par exemple, tu es directeur des “vasistas Vanceslas”. 95% du comité exécutif, ce sont des hommes ? Bon bah, allez hop, on dégage tout le monde et puis je mets des femmes à la place. C’est simple. On a déjà fait disparaître les pères avec la PMA pour toutes, ça ne devrait pas être trop difficile du coup !” 


Là, la théorie de la gynocratie, ça ne fait plus du tout rire Patrick. Il repense aux essais sur la misandrie d’Alice Coffin et de Pauline Harmange. Ces petits livres rouges du féminisme qui ont cartonné à la rentrée. Il se dit que le complot féministo-maçonnique n’est plus très loin. Il plisse les yeux et il repense à ce qu’avait dit la chroniqueuse de CNews Elisabeth Levy en octobre 2019 dans une interview menée par Eugénie Bastié pour le Figaro Vox : “Si ses représentantes [du nouveau féminisme] veulent la peau du mâle blanc hétérosexuel, c’est d’abord pour prendre sa place.”


Et repense à Pascal Bruckner, entendu cet automne sur France Inter : “On dit aux femmes : cessez de fréquenter les hommes, cessez de les approcher, car ils sont méchants par nature, et à moins de les rééduquer il n’y a rien à attendre d’eux. » Pascal Bruckner, c’est peut être le Didier Raoult de la dénonciation du système féministe, une sorte de lanceur d’alerte. La vague monte et Patrick sent le danger. 


Vous voyez arriver le plateau de fromages (et le Sainte-Maure qui vous fait tant envie) tout en vous disant que c’est quand même effrayant. Patrick a décidément trop lu Valeurs Actuelles, il gobe toutes vos conneries, même les plus grosses. Mais dans tout ça, le plus dur à digérer, c’est sûrement le dessert. Patrick tente de détendre l’atmosphère avec une blague piquée à l’ex-animateur Tex : “Les gars vous savez ce qu’on dit à une femme qui a déjà les deux yeux au beurre noir ? On ne lui dit plus rien, on vient de lui expliquer deux fois !” 


Pourtant à la boulangerie, on vous avait vendu “une bûche à la crème légère de marrons”. Mais on s’est fait avoir : c’est jamais léger, les marrons.

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Traitement en cours…
C'est tout bon, on se retrouve très vite !
Publié par :Marguerite Nebelsztein

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