Les zobs ont un cœur, qu’on se le dise. En tout cas, c’est ce que laisse entendre le bédéaste Thomas Rixens (alias Bobika) dans sa web-série “pro-féministe”. Dessinés pour le compte Instagram Mâtin, quel journal !, ses strips racontent son itinéraire de contracepté tout en nous arrosant d’informations utiles. Pour Sorocité, on a parlé de choses sensibles, comme de ses testicules, de vasectomie, de sexualité, d’injonctions sexistes et d’identité de genre.
Comment la contraception masculine est-elle arrivée dans votre vie ? Bobika : C’était il y a six ans. Mon parcours est assez classique, il ressemble à celui de tous les gars que je connais qui prennent une contraception. En un mot, ma copine en avait marre de prendre sa pilule et elle ne voulait pas se faire poser de stérilet. On était un peu dans une impasse. À ce moment-là, on a commencé à réutiliser le préservatif, à faire un peu de retrait. J’ignorais qu’il existait des contraceptions testiculaires. Et puis un jour, je suis tombé sur un article sur ce fameux “remonte-couilles toulousain” et au départ je n’y ai pas cru. J’ai décidé de faire quelques recherches et j’ai vu qu’il y avait un médecin, le Dr Mieusset (basé à Toulouse), qui le prescrivait. Alors j’y suis allé ! J’ai les testicules relevés depuis six ans maintenant.
La société n’encourage pas vraiment les hommes à se contracepter. La décision a été facile pour vous ? Je pense que j’étais peut-être déjà un peu éveillé à ces questions-là. Je comprenais tout à fait que ma copine en ait ras la casquette des hormones de synthèse, elle n’avait jamais connu son cycle naturel ! Cela me paraissait normal de prendre la contraception en charge, d’autant que quand j’ai vu la simplicité du dispositif de remontée testiculaire, ça a été assez évident. Autour de moi, il y a énormément de gens pour qui c’est compliqué. Déjà parce que pour eux, c’est hors de question de toucher aux testicules. Quand j’ai commencé, c’était encore assez confidentiel, tout le monde me disait : “tu vas choper un cancer des couilles !”, “t’es un malade de faire ça, c’est de la magie noire”. Heureusement que je suis passé directement par le Dr Mieusset qui étudie la question depuis 35 ans. Ça m’a rassuré.
Est-ce que d’autres contraceptions vous ont fait de l’œil ? La vasectomie par exemple ? Vasectomie, non, parce que mon choix d’avoir ou non des enfants n’est pas encore arrêté. En revanche, je me pose la question pour les hormones. Et si la contraception hormonale était encore moins contraignante ? Je suis assez curieux de voir ce que peut faire une injection de testostérone hebdomadaire. Là, je ne suis plus en couple, mais j’ai toujours à cœur de maîtriser ma fertilité. C’est pour moi une responsabilité personnelle, individuelle.
Pourquoi partager cette expérience via la BD ? Pour plusieurs raisons… Déjà, parce que personne ne connaissait la contraception thermique alors que c’est un protocole relativement simple ! Prendre soin de mon corps, ce n’était pas quelque chose que j’avais l’habitude de faire en tant qu’homme cis. Quand j’ai commencé (remonter mes testicules tous les matins, prendre soin chaque jour de mon appareil génital dans un but contraceptif), ça m’a donné un fort sentiment de dévirilisation, voire de féminisation. C’était étrange, je me croyais au-delà de ces questions-là et ça m’a vachement perturbé. J’ai eu besoin de le raconter. Je me suis dit que les principes virilistes étaient vraiment bien ancrés en nous. C’est un sacré boulot de déconstruire tout ça !
Strips extraits du Cœur des Zobs, ®Bobika
La question de la virilité est centrale dans la crainte de la contraception masculine… Pour la version papier du Cœur des Zobs, je me suis intéressé à l’histoire de la symbolique des testicules depuis l’Antiquité. À une époque, c’était un témoin de parole et d’honneur, on se touchait les testicules pour se faire une promesse. Ça arrive aussi de toucher celles de son partenaire pour dire “tes testicules sont témoins de ce que je dis”. C’est très intéressant, parce que -parmi les organes essentiels à la survie de l’espèce- c’est le seul à être à la fois douloureux, incontrôlable, flasque, extérieur et vulnérable. Et plutôt que d’en faire un organe qu’il faut soigner, chérir, auquel il faut faire attention, on en a fait un organe de la virilité. C’est absurde ! Même sans connaître cette histoire, je pense qu’on est aussi témoins de l’histoire symbolique des testicules sans trop le savoir. Et le fait d’y toucher, ça nous heurte dans notre masculinité.
La déconstruction a été douloureuse pour vous ? Ça a été un processus hyper long d’acceptation de mon corps parce que, mine de rien, c’est une transformation de ne plus voir ses testicules. Ils ne sont plus extérieurs, alors que c’est le témoin de la virilité. Ça chamboule un peu tout le rapport au genre et au corps. J’avais envie de le raconter. En plus, c’est libérateur ! Tu n’as plus à assumer une posture virile, tu t’en défais et ça fait du bien…
On oublie parfois que certains hommes cis souffrent aussi de cette injonction à la virilité permanente… Oui, enfin, ce n’est pas nous qui en souffrons le plus ! Mais moi, ça m’a fait du bien de ne plus jouer au bonhomme, d’assumer le fait d’être moi. Je crois que ça ferait du bien à plein de personnes aussi. C’est un peu ce que j’avais envie de dire à travers la BD : le féminisme fait du bien à tout le monde !
Vous vous dites ouvertement féministe, mais vous assumez le prisme du mec cis-blanc-hétéro. N’est-ce pas antinomique ? Je me dis “pro-féministe”. Je me considère comme un ‘accompagnant de la cause’, mais je ne veux pas être un porte-drapeau. Au tout départ du Cœur des Zobs, je voulais m’adresser aux hommes cis-hétéro. Le but, c’était de réfléchir à notre position dans la sphère sociale, à essayer de comprendre les schémas qui nous amènent à être qui on est et à les travailler pour les déconstruire. Mais je me suis rendu compte que l’immense majorité de mon lectorat était des femmes cis-hétéro, à plus de 85 % ! Je me suis dit : “olala, il y a encore du boulot pour intéresser les hommes.”
®Bobika
Dans un de vos strips, vous critiquez l’héroïsation des hommes contraceptés. C’était important de vous démarquer de cette posture ? À l’époque, j’étais le seul homme de mon entourage à avoir une contraception masculine. Quand les gens apprenaient ça, je devenais soudain le meilleur mec du monde, on me disait que ‘ma copine avait trop de chance’. Au début, je me faisais un peu mousser, je l’avoue ! Et puis c’est le collectif breton [ndlr : collectif Thomas Bouloù] qui m’a dit : “réfléchis bien à ce que ça veut dire que d’être félicité parce que tu te remontes les testicules, c’est juste normal ce que tu fais, y’a pas de gloire.” C’est tellement la moindre des choses… Mais il faut qu’on en parle, il faut que ce soit visible, il faut qu’on arrive à considérer qu’une personne avec des testicules contraceptés, c’est quelque chose de normal.
Le Coeur des Zobs va bientôt sortir en version papier ? Oui, elle sort le 9 septembre chez Dargaud et regroupera tous les épisodes qui sont sortis sur le compte Instagram Mâtin, quel journal. Et il y en aura aussi beaucoup de nouveaux !