Par Charlotte Arce et Elsa Pereira
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Elles ont la vingtaine, ont grandi avec #MeToo et se définissent comme « intersectionnelles », « radicales », « vénères ». Rencontre avec la nouvelle génération de féministes, qui renouvelle les codes du militantisme et ouvre le champ des combats.
Le féminisme porté par la génération Z se distingue par ses positions à rebours sur certains combats. Alors qu’au début des années 2010, certaines féministes militaient pour faire entrer les femmes dans les comités exécutifs ou de direction des entreprises, la nouvelle génération est à mille lieues de se reconnaître dans la figure d’une girl boss, telles que l’incarnent les femmes d’affaires Sophia Amoruso et Sheryl Sandberg. «
« Je pense sincèrement que l’empowerment est important, mais pas qu’il doit passer par le fait d’exploiter d’autres femmes racisées, par le capitalisme », tranche Lauren Lolo, qui avoue avoir également du mal avec le féminisme pop. « Avoir des jolis tee-shirts et des tote bags, c’est mignon, mais je m’en fiche un peu, c’est pas ça qui va améliorer nos droits. »
La jeune femme, également élue municipale rattachée à l’environnement et la citoyenneté à Fosses (Val-d’Oise), déplore aussi le discours parfois trop « doux » des militantes des générations précédentes. « Je respecte leurs combats et leurs années d’expérience. Mais je trouve qu’en tant que jeunes, on est beaucoup plus vénères, plus radicales qu’elles. On exige beaucoup plus de démissions, beaucoup plus d’actions et de réponses concrètes. On fonce dans le tas sur les questions qui ne nous plaisent pas. »
Shanese Rivera, elle, regrette que certains mouvements féministes soient « à la ramasse » sur des sujets comme le racisme, l’islamophobie, les LGBTQIA+-phobies. « Comme si défendre certaines femmes au détriment d’autres n’allaient pas leur revenir en boomerang ensuite. »
Pour Chloé Thibaud, journaliste et rédactrice en chef de la newsletter Les Petites Glo, la jeune génération est surtout moins encline à faire des compromis. « Elles sont très conscientes, engagées, elles ‘l’ouvrent’ clairement plus que les jeunes d’avant. Mais c’est surtout le signe que leurs combats leur tiennent à cœur. »
L’intime et le politique
Des combats pour lesquels elles n’hésitent pas à mettre la main à la pâte. Lauren Lolo a créé l’association Cités des Chances « qui promeut et démocratise l’engagement citoyen chez les jeunes de banlieue parisienne”. Shanese Rivera a fondé Chafia contre les violences conjugales à Sciences Po. Quant à Shanley McLaren, elle a imaginé StopFisha pour lutter contre le cybersexisme et les cyberviolences sexistes et sexuelles. Leur lutte dépasse les mots et les concepts, pour investir la rue comme les réseaux sociaux, l’intime comme le public. « Militer dans cette association m’a en quelque sorte permis de pouvoir dire par nos actions et nos prises de position : ‘c’est terminé, on ne laissera plus rien passer’ », confie Shanese Rivera.
En 2019, cette jeune militante a organisé avec d’autres associations féministes, un « die-in ». Une centaine d’étudiantes se sont réunies dans le hall d’entrée pour prononcer le nom de chacune des femmes victimes de féminicide, cette année-là. “L’engagement politique m’a fortement donné envie d’agir et de prendre position il y a quelques années et encore aujourd’hui. Je pense toujours que cela doit être un moyen de mettre nos idées en pratique et de faire bouger les choses sur le plan structurel », explique Shanese.
Contrairement aux mouvements écologiques dont on connaît volontiers les figures tutélaires comme Greta Thunberg, Leah Namugerwa ou encore la Française Camille Etienne, celles qui secouent le féminisme sont plus discrètes – mis à part la médiatique Malala Yousafzai ou encore la transphobe Marguerite Stern. Elles n’en sont pas moins efficaces pour organiser sit-in, manifs et séances de collages sur les murs des villes. C’est par exemple le cas de Camille Lextray, 24 ans, récemment diplômée du Celsa en communication politique, qui travaille dans la com’ le jour et colle des affiches anti-sexistes la nuit.
« Je suis souvent étonnée de constater à quel point elles maîtrisent des façons de faire qui ont nécessité, pour les gens de mon âge et les plus âgés, des formations universitaires ! Les collages sont l’un des meilleurs exemples de ces dispositifs que je souligne. À mes yeux, ils sont d’une efficacité redoutable dans la prise de conscience collective des problèmes : on ne peut pas ne pas tomber sur ces lettres majuscules et ces chiffres qui font froid dans le dos », analyse Chloé Thibaud.
Digital natives
La génération de Shanese ou Lauren maîtrise les codes de la communication sur le bout des doigts. « Ils et elles sont tombé·e·s dedans », s’amusent les boomer·euse·s. Un portable dans une main, une pancarte dans l’autre, la GenZ manie en effet l’art du hashtag et des trends avec dextérité. Dans le sillage de #MeToo, #SciencesPorcs est ainsi né en février dernier du compte Twitter d’Anna Toumazoff, 25 ans. Cette ancienne étudiante de Sciences-Po Toulouse, souvent qualifiée par la presse d' »influenceuse féministe » (son compte Instagram @memespourcoolkidsfeministes cumule 135 K abonné·e·s) a créé le hashtag pour dénoncer la culture du viol dans les Instituts d’études politiques, mais aussi pour inciter à des mesures concrètes.
« Les jeunes militantes utilisent intuitivement Twitter, Instagram, TikTok, en maîtrisent les codes et savent comment se faire entendre en lançant des hashtags qui font mouche, en rassemblant des témoignages, en partageant des informations chocs. En créant un événement Facebook, une page thématique, en mettant un mot en TT, elles créent des mouvements régionaux ou nationaux en l’espace d’un week-end. Leur rapidité d’exécution est impressionnante », souligne la journaliste Chloé Thibaud.
Les réseaux sociaux permettent à ces jeunes activistes de mettre un coup de projecteur unique, capable de mobiliser médias, élus de la République et décisionnaires en tout genre. Mais ils leur servent aussi d’outil pour accompagner les personnes vulnérables. « Nos réseaux sociaux, Facebook notamment, nous permettent de diriger des personnes victimes de violences vers des structures de proximité qui pourront les prendre en charge et les orienter ‘localement’, en plus de la prévention et de revendications sur les réseaux sociaux » , explique Shanese Rivera.
Pour Lauren Lolo, les réseaux sociaux, notamment Twitter, ont toutefois des limites. « Il y a une forme de militantisme performatif, il faut faire le bon tweet, avoir la bonne punchline, montrer que l’on est indigné·e, poster son petit carré noir Blackout Tuesday. Sauf que derrière, il n’y a pas toujours de vraie réflexion politique. » L’élue municipale à Fosses dans le 95 poursuit : « Les tweets, c’est une bonne chose, mais ce n’est pas suffisant pour transformer l’univers social dans lequel on vit. »
« Depuis 2017 et le mouvement #MeToo les réseaux sociaux agissent comme un espace de médiatisation de la parole des femmes. Ils ont clairement un rôle d’empowerment pour les jeunes qui témoignent, échangent, et s’organisent – les exemples ne manquent pas. Toutefois, il faut faire attention à ne pas oublier que ces prises de paroles sur les réseaux sociaux ne représentent qu’une certaine voix : celle des femmes issues de milieux plutôt privilégiés, qui font des études supérieures, qui ont accès aux réseaux sociaux et en maîtrisent les codes, » analyse Fanny Marlier, journaliste indépendante et co-autrice de l’enquête Sciences-Po Bordeaux : «J’ai été violée et l’administration a répondu par de la violence supplémentaire».
« Liberté, égalité, adelphité »
Les nouvelles féministes sont connectées, vénères et « intersectionnelles » mais aussi, et surtout, solidaires. Au cœur de leurs féminismes, la sororité – voire l’adelphité (synonyme non genré de fraternel) – est essentielle. Pour Shanese comme pour Lauren, le collectif aide à garder le cap, il est un soutien précieux pour continuer d’avancer malgré les difficultés et backlashs récurrents.
« Lutter, c’est quelque chose de collectif. Comptez les unes sur les autres, ça donne de la force mais ça permet aussi de se reposer mentalement. J’ai l’impression que notre génération est plus sensible à la question de la santé mentale », estime Lauren. À l’heure où les burn out militants se multiplient, les féministes de la Génération Z se serrent les coudes pour mettre à genoux le patriarcat.
D’autant que pour ces jeunes militant·e·s, le chemin est encore long et jalonné d’obstacles. L’égalité salariale semble inaccessible, le racisme systémique et les féminicides toujours nombreux. « Suite à la pandémie, nous allons vivre une crise économique et sociale sans précédent, dans une société où les personnes les plus vulnérables seront évidemment en première ligne, mais aussi les premières victimes, s’inquiète Shanese Rivera. Lutter contre le patriarcat, contre le racisme, contre les injustices sociales, environnementales, la pauvreté va demander du temps et de l’énergie.« Avant de conclure : « Nous avons des défis à relever pour l’avenir, mais cela commence aujourd’hui. Je ne veux pas qu’on nous dise que nous sommes ‘l’avenir’. Nous sommes aussi le présent. »
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