Lorsqu’il s’agit de religion, les femmes sont-elles condamnées à être des éternelles servantes de l’ombre, que ce soit dans le christianisme, l’islam ou le judaïsme ? Écartées des positions de pouvoir, certaines ont décidé d’arrêter d’être de simples figurantes.
6 mars 2020. Le cardinal Barbarin démissionne de son poste d’archevêque de Lyon. Pour le remplacer, une femme se propose : la théologienne Anne Soupa. Ancienne rédactrice en chef de la revue théologique Biblia, cette grande spécialiste aimait tellement son poste que, de son propre aveu, elle “aurait pu payer pour venir travailler le matin”. Sa démarche, qui traduit son ambition d’acquérir plus de pouvoir de décision, va donc bien plus loin qu’un simple “coup de com”.
La théologienne situe son engagement féministe le jour où, en novembre 2006, l’archevêque André XXIII a déclaré : “Le plus difficile, c’est d’avoir des femmes qui soient formées. Le tout n’est pas d’avoir une jupe, c’est d’avoir quelque chose dans la tête.” Elle décide alors (avec d’autres catholiques) de créer le Comité de la Jupe, qui lutte pour une meilleure place des femmes dans l’Église catholique.
Anne Soupa fait également partie du groupe “Toutes Apôtres”. Cet été, sept femmes de ce collectif ont soumis leur candidature pour des titres qui leur demeurent interdits au sein de l’Église catholique : ministères de diacres, de curés, de nonce, d’évêque ou encore de prédicatrice laïque. Aujourd’hui encore, ordonner une femme prêtre (ou le fait d’être ordonnée prêtre quand on est une femme) peut conduire à l’excommunication.
Le double discours d’une “gouvernance machiste”
À la rentrée, les candidates sont reçues par le nonce apostolique (l’ambassadeur du pape en France). Pourtant, le 22 octobre, c’est Olivier de Germay, un traditionaliste, qui est nommé en remplacement de Barbarin. Anne Soupa se désole de voir que rien ne change dans les critères de nomination des évêques : “La réponse est dans cette nomination qui pérennise le statu quo, d’une gouvernance machiste qui perdure et qui est contraire à l’Evangile.”
Si telle est la règle du jeu et que seuls les hommes peuvent être nommés, pourrait-on porter plainte contre l’Église pour discrimination à l’embauche ? Non, selon Anne Soupa : “L’organisation du culte fait partie des libertés concédées par la loi de 1905. Ça pourrait en revanche être envisageable dans les départements concordataires, comme l’Alsace-Moselle qui n’est pas soumise à la loi de 1905.“
La théologienne dénonce un double discours alors que, début octobre, le pape lui-même appelait à “une présence féminine plus incisive dans l’Église”. Ce dernier allait même jusqu’à affirmer : “Nous devons promouvoir l’intégration des femmes dans les lieux où se prennent les décisions importantes.”
Toutefois, quelques voix masculines s’élèvent timidement. Le 25 juin dernier, Pascal Wintzer, archevêque de Poitiers, signait notamment une tribune intitulée « Une femme archevêque de Lyon ? » dans le journal La Croix, soutenant le sérieux des demandes d’Anne Soupa.
Seulement trois imames en France
Les catholiques ne sont pas les seul·e·s à se poser des questions. En Occident, les luttes pour l’égalité n’ont épargné aucune religion. L’initiative de « Toutes Apôtres » a d’ailleurs été soutenue par le Groupe Orsay, fondé par des protestantes féministes en 1981, et issu d’une réflexion sur le poids du patriarcat à tous les étages du protestantisme.
Dans son organisation, le protestantisme offre plus de place aux femmes. Les protestant·e·s de France se coordonnent au sein de plusieurs organisations. Une des plus importantes, “L’Église protestante unie de France”, est dirigée par une femme : Emmanuelle Seyboldt. Les baptistes sont de leur côté dirigé·e·s par Joëlle Razanajohary, sans compter les quelques présidentes de régions.
Membre du groupe Orsay, la pasteure de Courbevoie Jane Stranz est originaire d’Angleterre. Arrivée en France il y a trente ans, elle participe pleinement aux réflexions sur l’égalité et la masculinité au sein de sa religion. Elle évoque les nombreux courants du protestantisme, et le pastorat des femmes n’est pas toujours une évidence : “Chez les plus fondamentalistes, il y a toute une réflexion autour de la question : ’est-ce que la femme peut avoir autorité sur l’homme ?’”.
Et de penser aux propos du théologien protestant Antoine Nouis : “Les protestants ont toujours été d’accord avec l’égalité entre les hommes et les femmes, mais à cause des structures sexistes de la société, le protestantisme a mis 400 ans à donner une place aux femmes”. Pour rappel, la France compte sa première pasteure, Madeleine Blocher-Saillens, seulement en 1929.
Du côté du judaïsme, en France, celles qui préfèrent le terme de “rabbin” à rabbine, sont des libérales et se comptent sur les doigts d’une main : Floriane Chinsky, Delphine Horvilleur, Danièla Touati ou Pauline Bebe (première rabbin française, ordonnée en 1990). Ce courant, minoritaire, prône une réforme du judaïsme vers plus d’intégration dans la modernité pour ne pas le déconnecter de la société dans lequel il évolue. C’est à ce courant que l’on doit l’ouverture aux femmes du rabbinat avec l’ordination de l’Allemande Regina Jonas en 1935.
Les initiatives sont aussi timides et récentes pour les musulmanes. Pour devenir imam·e (personne en charge de la prière), il ne faut en théorie aucun prérequis, à l’exception d’être reconnu·e comme instruit·e et d’être choisi·e par l’assemblée des croyant·e·s. En France, les femmes imames ne sont que trois et font partie de courants rassemblant peu de monde : Kahina Balhoul, mais aussi Eva Janadin et Anne-Sophie Monsinay, fondatrices de la mosquée mixte Sîmorgh.
Faker Korchane est théologien et philosophe. Il a co-fondé en 2019 l’association “La mosquée de Fatima” avec Kahina Bahloul. Selon lui, “aujourd’hui dans l’Islam, les femmes peuvent prétendre à tous les postes de pouvoir. [..] Même chez les plus ‘tradis’, s’ils ne reconnaissent pas l’imamat aux femmes, ils leur reconnaissent la capacité d’être juge, d’enseigner la théologie ou le droit islamique. […] Sauf chez les wahhabites [salafistes] et pour certains malikites”.
Plusieurs religions, mais les mêmes revendications ?
Anne Soupa et Jane Stranz sont d’accord pour dire que les femmes “n’osent pas” et qu’il faut les inciter au leadership. Leur rôle au sein des églises est aussi complètement invisibilisé. “Elles font tenir la maison, mais elles rasent les murs. Et puis le clergé ne veut pas voir ce qu’elles font”, observe Anne Soupa. En 2019, des femmes du Vatican avaient même signé une tribune dénonçant le “monochrome masculin” et leur rôle de serviteuses.
Ce même plafond de verre et cette invisibilisation se retrouvent dans l’islam. Faker Kochrane, qui espère voir plus d’imames mais aussi d’hommes cadres religieux musulmans libéraux, explique “que l’on sort de décennies d’enseignement selon lequel les femmes ne peuvent prétendre à rien religieusement parlant.[…] Les musulmanes commencent à se rendre compte qu’il y a tout un pan de l’héritage islamique qui a été mis de côté, caché, et qui est pourtant une source de l’empowerment des femmes. D’où l’émergence de ce que certains ont qualifié de ‘féminisme islamique’”.
Une convergence des revendications pour une plus grande place des femmes aux postes hiérarchiques dans les religions du Livre est-elle alors possible ? Pour Anne Soupa, des dénonciations quant au manque de responsabilités des femmes dans les religions peuvent être communes, “mais les remèdes ne sont pas les mêmes”.
Jane Stranz, qui a prié avec les anglicanes pendant ses études de théologie pour qu’elles puissent accéder à la prêtrise, avance le même constat : “Il n’y a pas exactement une convergence, mais on est déterminées ensemble et on respecte profondément la volonté de l’autre église.”
Faker Kochrane, lui, évoque des échanges réguliers avec des protestant·e·s libéraux·ale·s et les rabbins libérales Delphine Horvilleur et Floriane Chinsky. Pour lui, “il y a convergence totale” entre christianisme, islam et judaïsme sur ces questions : “Je ne crois pas qu’il y ait ici de spécificité religieuse. Les réflexes sont les mêmes, profondément humains. Tous ceux qui ont le pouvoir (réel ou symbolique) se battront pour le conserver.”
Le machisme aura-t-il raison de l’Église catholique ?
Pour Faker Kochrane, “des générations de religieux hommes, jaloux de leurs prérogatives” expliquent l’exclusion des femmes. Et le besoin de changement dans cette gestion du pouvoir n’est pas anodin. “Si l’entrée des femmes dans tous les lieux décisionnels de nos églises, de nos religions peut mener à une chose, j’espère que ça peut avoir un impact sur la responsabilisation de l’exercice du pouvoir”, pointe Jane Stranz, en prenant l’exemple de la pédocriminalité.
Anne Soupa, quant à elle, reproche fortement au pape Jean-Paul II d’avoir, “sous des allures très séductrices, voulu fonder son gouvernement sur les prêtres. Pour ça, il a défendu leur masculinité et leur célibat. Donc il a fermé la porte aux femmes, et il a développé des exégèses fausses de la genèse”.
La théologienne pointe ici la quintessence d’un “boy’s club” qui, selon elle, pourrait conduire à la perte de l’Église catholique : “C’est une évidence incontestable, parce que les religions se déploient dans un espace social sans frontière entre les deux et le regard que pose la société sur le machisme de l’Église catholique peut la tuer. Sa réprobation sera de plus en plus marquée. Si elle ne vient pas des médias, de l’air du temps… elle viendra des pouvoirs publics.“
Pour Anne Soupa, si sa candidature à la charge occupée par Mrg Barbarin n’a pas abouti, rien n’est perdu dans son combat pour que des femmes accèdent à des positions de pouvoir dans l’Église : “Beaucoup de consciences se sont éveillées”, estime-t-elle.
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