Espérer avoir un enfant, ne pas en vouloir, souffrir que les autres en aient. La maternité entraîne dans son sillage de nombreux questionnements, très différents d’une femme à l’autre. On peut se rêver maman à 15 ans et refuser l’idée à 30. Adorer ses enfants et se sentir libérée lorsqu’ils·elles ne sont pas là. Prendre son temps pour en faire, tout en essuyant les remarques insistantes de son entourage.

Il y a un an, nous nous sommes échappées en Normandie le temps d’un week-end pour réfléchir au lancement de Sorocité. À l’époque, deux d’entre nous étaient enceintes… L’occasion pour nous d’échanger sur la place qu’occupe la maternité dans nos vies. Au fil des discussions, nous avons été frappées de constater à quel point nos sentiments sur la question divergeaient. Ce sont ces expériences personnelles que nous vous confions dans ce nouvel hors-série un peu spécial.

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Un enfant, quand je veux. Si je veux.
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Biberonnée au féminisme depuis mon adolescence, j’ai toujours levé les yeux au ciel lorsque j’entendais parler d’horloge biologique. J’ai passé ma vingtaine à flipper avant et après mes règles. À prendre des pilules du lendemain par précaution. De toute façon, j’avais le temps, pas besoin de se presser. 

Et puis un jour, j’ai eu envie de faire un enfant. Je ne sais pas tellement pourquoi, mais c’était là, béant dans ma vie. C’est souvent lorsqu’elles décident de faire un enfant que les femmes apprennent qu’elles sont atteintes du Syndrome des ovaires polykystiques (SOPK). Le jour du diagnostic, les choses deviennent un peu plus compliquées que de juste arrêter sa pilule. 
  J’ai longtemps cru dans la véracité du slogan des années 1970 « Un enfant quand je veux, si je veux » et je me rends compte aujourd’hui qu’il est partiellement vrai. Parce que la maladie rend peu fertile, j’ai eu recours à une PMA. À chaque prise de sang, à chaque piqûre sur mon ventre, à chaque échographie pelvienne, je questionnais mon envie de faire un enfant. Est-ce que ça valait le coup de souffrir et d’espérer autant sans savoir ? À force de multiplier les tests de grossesse et de pleurer quand je découvrais mes règles, je ne savais plus très bien ce que je voulais.

Prise dans l’engrenage, on se sent happée par l’envie de maternité. Par l’angoisse que ça ne fonctionne pas. L’attente crée un vide en soi. On ne peut plus s’imaginer sans un enfant, alors qu’on a vécu si longtemps ainsi.

Et puis un jour, après plusieurs mois de traitement, le test devient positif. 

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J’adore les enfants, mais…
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Adolescente, j’imaginais ma vie comme une succession d’événements : études, diplômes, job stable, mec sérieux, une maison, un chat, un puis deux bébés. Le poids de ce destin tout tracé a failli m’écraser au matin de mes 27 ans. L’âge de ma mère quand elle est tombée enceinte de moi. Mon repère chronologique. Il fallait bien me rendre à l’évidence : j’étais en retard sur la « deadline », et bien loin d’être sur la « bonne » voie.

Étrangement, la date fatidique passée, je me suis sentie libérée. En acceptant de sortir de l’autoroute de la vie, j’ai découvert des chemins de traverses sur lesquels évoluer à mon rythme. J’ai appris que les « bébés » ne sont pas toujours des êtres de chair et d’os que l’on porte dans son ventre. Ils peuvent prendre la forme d’un projet, d’un livre, d’une reconversion, d’une newsletter féministe… Que l’on porte avec ses tripes.

J’ai appris à suivre mon intuition et à écouter mon corps. Et si ma tête adore passer du temps avec les enfants, mon corps me dit qu’il n’a aucune envie d’en fabriquer un pendant 9 mois et d’en assumer la charge physique, mentale, écologique, émotionnelle et financière pour le reste de ma vie. 
 
Ce que les gens ont eu du mal à comprendre, c’est que j’adore les enfants.
Que ce soit dans un hall d’aéroport, un parc ou une salle d’attente, je ne compte plus les fois où un enfant est venu spontanément jouer avec moi ou me faire un câlin. 

Si vous perdez votre enfant lors d’un barbecue, cherchez-moi, vous avez 8 chances sur 10 de le·la retrouver en train de me servir un thé-pitrouille aromatisé boue-du-jardin sur une chaise à 5 cm du sol. Mes jobs étudiants, je les ai tous passés comme animatrice en centres de loisirs. Et ce sont mes plus beaux souvenirs.  

Certain·e·s appellent ça la fibre maternelle, et ne me croient pas quand je leur dis que je ne veux pas d’enfant : « Tu vas changer d’avis, tu es encore jeune« , « Tu n’as juste pas encore trouvé la bonne personne« . C’est peut-être vrai. Mais peut-être qu’au fond, j’adore les enfants parce que ce sont ceux·celles des autres. Et peut-être même que je vis ma meilleure vie en étant en accord avec ce choix…

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Et toi, c’est pour quand ?
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Jusqu’à mes trente ans, la maternité a toujours représenté un concept abstrait à mes yeux. J’en parlais peu et je n’avais pas d’exemple autour de moi. Seulement quelques remarques de ma famille de temps à autre. De mon père, inquiet à l’idée de ne pas devenir grand-père avant le passage fatidique des 60 ans. Ou encore de ma grand-mère qui, fidèle à sa génération, ne comprend toujours pas bien pourquoi je n’ai pas encore franchi le cap. 

Il faut dire que ma situation joue légèrement en “ma défaveur” : en couple depuis mes 21 ans (j’en ai aujourd’hui 32), en CDI, installée dans un appartement avec deux chambres… C’est peut-être à partir de là que tout a commencé. Que l’idée s’est peu à peu immiscée dans l’esprit de mes proches. Parce que je remplissais toutes les “cases”. 

Aujourd’hui, il ne se passe pas une semaine sans qu’une personne, y compris parfois de parfait·e·s étranger·ère·s, ne me pose cette question. Est-ce que je veux un·e enfant ? Oui, dans quelques années, probablement. Mais maintenant, tout de suite ? Non. Mon mec non plus. N’en déplaise à certain·e·s de nos proches qui, dans ce qu’ils·elles doivent certainement percevoir comme un “moment de complicité”, me glissent discrètement : “Tu sais, je crois que lui, il est prêt”. 

À chaque fois que l’on me fait ce genre de remarques, je n’entends pas : “On aimerait bien vous voir devenir parents« , mais plutôt : ”Bon, tu t’y mets quand” ? D’autres me disent aussi : “Si tu ne veux pas d’enfant, y a pas de problème, je comprends”. Comme si l’idée que je ne veuille pas me lancer tout de suite dans cette aventure, quitte à être une “mère vieille” (non, cette remarque ne vient pas de moi), signifiait automatiquement que je ne voudrais jamais d’enfant. 
  Alors qu’en réalité, j’ai simplement choisi de prendre mon temps. Mais j’ai réalisé qu’une telle décision revient à sous-estimer le pouvoir insidieux exercé par une société où la norme de devenir mère, et qui plus est “à temps”, prédomine. Surtout quand en l’espace de six mois, cinq de vos amies tombent enceintes, vous donnant l’impression déroutante que vous vivrez cette expérience en parfait décalage lorsque “votre tour” viendra.

Une angoisse naissante que j’ai toutefois réussi à surmonter, réalisant que rien ni personne ne pouvait me dicter un choix de vie aussi important.

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Le masque de joie
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Peut-on être jalouse lorsqu’une autre femme vous annonce qu’elle est enceinte et que vous, qui le souhaitez plus que tout, ne l’êtes pas ? Dans les dix commandements du féminisme, il y a la sororité. Il faut se soutenir, être heureuse pour la joie des unes et des autres. Mais quand vous-même essayez d’avoir un·e enfant et que vous allez de déception en déception pour X raisons, la lutte contre une forme de jalousie est intenable. Comment affronter ce sentiment profond qui vous submerge ?

Autour de moi, au moins une dizaine de femmes enceintes ou ayant accouché il y a peu. Les nouvelles de leur dernière échographie, les photos de leurs enfants dormant sur leur ventre, les discussions biberons entre nouvelles mamans. J’en suis arrivée à un point où je ne parviens plus à être polie et à dire à l’une ou l’autre que son enfant est mignon·ne.

Alors, je mets un masque pour ne rien laisser paraître. Une amie très proche est tombée enceinte au moment où je passais sur la table d’opération pour une grossesse extra-utérine. J’ai perdu une trompe. Elle nous annonce la nouvelle et impossible d’exprimer la moindre joie qui ne soit autre que celle exprimée à travers ce masque. Au fond, je suis profondément triste et envieuse. Son corps est plein et je suis vidée. Mes sentiments sont moches.

J’aimerais que ces gens soient heureux·se·s de leur côté. Mais impossible de leur dire de garder leur bonheur pour eux·elles. On ne peut pas empêcher les autres de vivre à cause de nous. Mais la tristesse est le charbon de la jalousie qui peut se transformer en aigreur si on n’y prend pas garde.

D’ailleurs, est-ce la jalousie en elle-même ou le fait de se battre sans cesse avec ce sentiment irrépressible qui est le plus dur ? Le combat contre elle est douloureux et épuisant. Ai-je tout simplement le droit d’être triste ? Je m’en veux de ne pas être assez déconstruite pour ne pas laisser cette jalousie m’envahir. Mais elle prend malgré tout le dessus et je n’arrive pas à lutter.

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La vocation d’être mère autant de temps dans sa vie
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« Ça vous arrive de regretter votre vie d’avant ? » Cette phrase, c’est une amie qui l’a posée à mon conjoint il y a quelques semaines, alors que tous deux buvaient des coups un soir après le boulot. Elle a été très surprise qu’il lui réponde par l’affirmative. Comme si avoir des enfants impliquait de ne pas regretter sa liberté passée et les grasses matinées, et de reproduire chaque soir avec le même entrain la routine bain/repas/coucher.
 
Car être parent, et à fortiori être mère, c’est aussi un peu s’aliéner. Il y a quelques semaines, la journaliste Nora Bouazzouni réagissait au témoignage d’une femme qui expliquait dans un article de Slate que le confinement avait été pour elle une épreuve, car elle « n’avait pas la vocation d’être mère autant de temps dans sa vie« . « Je comprends l’épuisement, vraiment, mais je me demande pourquoi les gens font des enfants si c’est pour s’en occuper uniquement le week-end et deux heures par jour en semaine« , questionnait Nora Bouazzouni sur Twitter. 
 
Je ne reviendrai pas sur les réactions qu’a suscité ce tweet, auquel j’ai moi-même répondu. Je rajouterai simplement ceci : entrer dans la maternité, ce n’est pas uniquement renoncer à une partie de sa liberté. Ça, on le sait. On a « signé pour ça« . Mais c’est aussi, parfois, devoir renoncer à une partie de son identité. Lire, faire du sport, faire du dessin ou aller au ciné, réfléchir, travailler… Toutes ces petites choses qui nous nourrissent socialement et intellectuellement et qui nous donnent des moments de respiration. J’aime mes enfants plus que tout, mais j’ai besoin de cet espace à moi pour ne pas me sentir piégée dans mon rôle de mère. 
 
Or, pendant le confinement, tout cet espace personnel a été phagocyté. Avec des enfants à la maison à occuper, nourrir, consoler, cajoler sans répit pendant des semaines, je me suis engouffrée dans un tunnel dont je ne voyais plus le bout. J’ai beaucoup crié, pleuré et culpabilisé pendant cette période et ce n’était bon ni pour moi, ni pour mes enfants. À plusieurs reprises, j’ai eu peur d’abîmer irrémédiablement la relation que j’avais avec eux, quand je m’en occupais moins, mais mieux.
 
Alors oui, cette mère qui a témoigné pour Slate, je la comprends. Moi non plus, je n’ai « pas vocation à être mère autant de temps« . J’aime quand mes enfants sont à l’école ou chez la nounou pour travailler sans bruit, sans biberon à donner, ni fesses à essuyer. J’aime aussi avoir du temps pour ne rien faire ou -ultime luxe- m’accorder une sieste. Cela ne fait pas de moi une mère moins aimante, présente et attentive à leur bien-être. J’estime juste que leur épanouissement ne doit pas se réaliser au détriment du mien. Et on ne devrait pas culpabiliser de le penser.

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Traitement en cours…
C'est tout bon, on se retrouve très vite !
Publié par :sorocité

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