Le matrimoine ne se résume pas à une longue litanie de portraits de femmes. Allons plus loin.

Les 19 et 20 septembre, les féministes partiront à la rencontre du grand public pour les journées du Matrimoine. Cette journée, qui existe depuis 2015 à l’initiative de l’association HF Ile-de-France, met en avant l’héritage que nous tenons des femmes.

Moi-même, en plus d’être journaliste à Sorocité, je fais partie d’un collectif qui défend le matrimoine, Georgette Sand. Au sein de cette organisation, j’ai été la co-autrice en 2017 du livre Ni vues ni connues qui présente 75 portraits de femmes. Elles n’ont pas été choisies au hasard. Loin de nous cantonner à une fiche biographique Wikipédia, nous voulions y décrypter les processus qui font que ces femmes ne sont pas dans nos livres d’histoire. Aller plus loin et comprendre. Quitte à parler de femmes qui ont échoué, pour analyser leur effacement. Comme la sœur d’Amadeus, Nannerl Mozart, aussi brillante que son frère selon les commentateurs, mais dont l’œuvre a complètement disparu, brûlée par son père.

Je regrette que le matrimoine ne soit que démonstratif et parfois qu’une longue litanie de portraits, car il doit aussi nous aider à analyser notre présent. La matrimoine est politique.

Par exemple, il ne suffit pas de faire le portrait d’Émilie du Châtelet, en disant : « regardez, cette mathématicienne de génie ! » Il faut expliquer et répondre à ces questions : pourquoi est-on incapable de la citer à l’égal de Newton ? Pourquoi n’est-elle pas dans les livres scolaires de nos enfants ? Quels mécanismes sont à l’œuvre et comment les inverser ? Est-ce que ces mécanismes existent encore aujourd’hui et comment les déjouer pour lutter contre l’invisibilisation des mathématiciennes qui sont nos contemporaines ? 

En évoquant son cas, il faut parler d’une réforme indigne des programmes scolaires qui a décidé il y a deux ans d’un recul de la place des femmes. Une réforme dénoncée par l’association Mnémosyne, qui milite pour le développement de l’histoire des femmes et du genre.

Il en va de même lorsque l’on évoque des musiciennes. Prenons Louise Farrenc, pianiste du XIXe siècle. Dire qui elle était, sa lutte pour être professionnelle ou pour l’égalité salariale, ne suffit pas. Il faut en plus expliquer pourquoi on ne la connaît pas, dire que cela a des incidences aujourd’hui sur le nombre de femmes dans la musique professionnelle. Et plus que tout, plus que de faire son simple portrait, jouons sa musique ! Payons des places de concert pour aller entendre ses œuvres.

Parce que c’est aussi de cela qu’il s’agit quand on parle de matrimoine. Il ne suffit pas de parler de leur vie, il faut aussi les écouter, les lire, acheter leur œuvre, les visiter, voir des expositions qui leur sont consacrées. En somme, leur donner de la valeur. Ce que font très bien les journées du Matrimoine.

La disparition des journées du matrimoine : une utopie

La violoncelliste Héloïse Luzzati a lancé des concerts pour jouer uniquement des œuvres de compositrices. Claire Gibault, elle, est cheffe d’orchestre et directrice du Paris Mozart Orchestra, et organise le concours de chef d’orchestre « La Maestra » qui s’adresse uniquement aux femmes. Elle l’espère toutes deux : un jour, leur initiative ne doit plus exister.

Pour l’instant, les Journées du Matrimoine sont essentielles et nécessaires. Primordiales, pour faire découvrir au grand public qu’à chaque coin de rue il y a des femmes qui ont vécu, construit, travaillé, créé…

Mais mon plus grand espoir est que ces journées n’aient plus lieu d’être et qu’on parle d’un héritage commun. Que les femmes ne soient plus reléguées à un chapitre spécial, mais qu’elles retrouvent (ou trouvent) leur place dans notre histoire commune. Non, Émilie du Châtelet n’est pas une femme mathématicien, elle est mathématicienne tout court. Quand on évoque son travail, on peut évoquer les difficultés qu’elle a subi pour faire carrière, mais son travail doit entrer dans le langage commun.

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Publié par :Marguerite Nebelsztein

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