Autrice de bandes dessinées féministes, Lili Sohn a signé fin 2019 chez les éditions Casterman un album dans lequel elle questionne le bien-fondé de l’instinct maternel. En 2022, elle publiera un ouvrage sur notre guerre contre le poil. “J’ai pris la pilule de Matrix, plus de retour en arrière possible”, s’amuse Lili Sohn lorsqu’elle évoque son engagement féministe. Dessinatrice de bandes dessinées, Aurélie Sohn est née en 1984 à Strasbourg. Diplôme d’arts en poche, elle s’exile outre-Atlantique à Montréal. C’est là, qu’elle commence à exercer son métier, d’abord en tant que graphiste pour Ubisoft puis en signant les illustrations d’Excusez leur accent de Marie-Pier Picard, un ouvrage auto-édité sur les Français expatriés au Canada. En février 2014, Lili est diagnostiquée d’un cancer du sein et ouvre dans la foulée un blog BD : Tchao Günther. Elle y raconte son quotidien, ses rendez-vous médicaux, les découvertes qu’elle fait sur le monde qui l’entoure, sur elle et sur sa maladie. “Comme je n’ai pas choisi d’avoir le cancer, je veux au moins choisir comment le vivre : en couleurs et avec humour”, raconte-t-elle sur son site. Repérée la même année par les éditions Michel Lafon, Lili Sohn publie ses dessins et réflexions dans La Guerre des Tétons. Il lui faudra trois tomes pour venir à bout de tout ce qu’elle a à dire sur son cancer. La boîte de Pandore définitivement ouverte, la dessinatrice continue son exploration de soi et de la société à travers deux bandes dessinées publiées par Casterman : Vagin Tonic (2018) sur le sexe féminin et Mamas (2019) sur l’instinct maternel. Installée aujourd’hui à Marseille, l’illustratrice poursuit son travail sur le corps. Avec elle, nous avons parlé féminisme, maternité et injonctions sexistes. Sorocité : Comment es-tu devenue féministe ? Lili Sohn : À 29 ans, j’ai appris que j’avais un cancer du sein. Je pense que c’est cet événement qui m’a vraiment sortie du côté “blanche hétéro”. Je suis soudainement sortie de ce moule de normalité. C’était comme si j’avais pris la pilule de Matrix et que d’un seul coup, je voyais tout ! Avant ça, je n’avais pas pris la mesure de la violence de ces inégalités. C’est vraiment le rapport avec le corps médical, le fait que l’on m’enlève mes seins qui m’a poussé à me questionner sur ce qui faisait que j’étais une femme, sur les injonctions pendant la maladie, le rejet de la femme malade… La bande dessinée m’a aidée à ne pas me noyer dans tout ça. Quand je relis La Guerre des tétons, je me revois aux prémices de ces questionnements. Avec Vagin Tonic, ça devient encore plus fort parce que je me rends compte que je ne connais pas mon corps, que je suis désinformée, voire mésinformée. Mon féminisme s’est nourri de ce besoin de comprendre. |
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Qu’est-ce qui te pousse à raconter ton odyssée féministe en bandes dessinées ? L’envie de décortiquer le sentiment que je suis en train de vivre et d’avancer. Quand j’ai commencé à travailler sur l’instinct maternel, je sentais que ce que j’allais découvrir serait violent, la BD était donc là en quelque sorte pour me soutenir. C’est aussi un bon moyen de partage, quand le livre sort et que j’en parle sur les réseaux sociaux, les gens m’écrivent pour me dire qu’ils vivent la même chose, que je ne suis pas seule… Je ressens un véritable soulagement à l’entendre. |
“C’était aussi important pour moi de pouvoir discuter avec des personnes qui ne vont pas systématiquement remettre en question le féminisme en général comme le ferait un oncle bourré à une soirée.”
Comment organises-tu tes recherches ? Je lis beaucoup, j’enquête, je rencontre des experts… J’ai l’impression de faire des thèses ! À Marseille, j’aborde aussi ces sujets-là avec un organisme présent en régions : le FNCIDFF. C’est la Fédération Nationale des Centres d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles et ils travaillent beaucoup sur l’égalité hommes/femmes, sur la prévention des violences faites aux femmes… Je parle souvent dans mes bandes dessinées d’expériences personnelles, là, ça me permet de collaborer avec des personnes qui travaillent sur le terrain et d’aborder de sujets que je ne vis pas nécessairement. L’an dernier, par exemple, on a fait une campagne sur les violences conjugales chez les 18-25 ans en abordant par exemple le cyberharcèlement. (Ndlr : notamment cette série de portraits de femmes pour le projet Egamix) Ce que tu apprends change concrètement ton quotidien ? J’essaye de changer les choses dans ma sphère familiale. L’égalité est en tout cas centrale dans l’éducation de mon fils mais pour ce qui est de la société en général, c’est un peu plus compliqué. Le médecin s’adresse à moi et non pas à son père en ce qui concerne notre enfant, la crèche m’appelle quand il est malade… Dans certains pays, le congé paternité est obligatoire pour les hommes. En Islande par exemple, il dure six mois (ndlr : trois mois pour la mère puis pour le père et enfin trois mois à se partager) et depuis que cela a été mis en place, il n’y a quasiment plus d’inégalités salariales. Impliquer le père, montrer que ce ne sont pas que les femmes qui s’occupent des enfants, qui font les soins, ça règle dans un premier temps pas mal de problèmes. En ce moment je travaille sur l’acception du poil féminin et sur les origines du glabre. Parler du poil, c’est hyper intéressant, c’est parler de domination, d’objectivation, de sexualisation de la femme… Du coup en parallèle, je tente un arrêt de l’épilation, c’est difficile mais je le tente ! |
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On a vu avec Culottées de Pénélope Bagieu (entre autres) que la bande dessinée réussissait à aborder la féminisme. C’est important pour toi que les supports varient ? Il faut qu’il y ait de tout : de la bande dessinée humoristique, des essais peut-être plus sérieux. C’est important que ces sujets soient abordés à travers des supports variés. Judith Butler par exemple, elle est hyper compliquée à lire ! Pour moi, le medium de la bande dessinée permet d’aborder les sujets en douceur, et c’est comme ça que je suis. J’ai envie d’emmener les gens avec moi parce que c’est aussi ma manière d’aborder les sujets, jamais en frontal, en trouvant de l’amusement. Avec La Guerre des tétons, j’ai voulu utiliser des codes que l’on associerait pas forcément avec le cancer du sein : la couleur ou la bande dessinée. Je trouve ça intéressant de prendre le contre-pied. |
utile & agréable : quelle belle jonction
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