Lorsque l’on est enceinte, on imagine souvent les scénarii les plus catastrophiques au moment où le travail va se déclencher : la voiture qui ne démarre plus, un·e conjoint·e retenu·e au boulot, une naissance expresse dans le taxi. Mais, avant le mois de mars, rares sont celles qui avaient imaginé donner la vie en pleine crise sanitaire mondiale. Pour moi en tout cas, cette optique était tout aussi invraisemblable que le crash d’une météorite sur la maternité.

Avec une date d’accouchement fixée à la deuxième quinzaine de mars j’ai pourtant dû, comme des milliers d’autres femmes dans la même situation que moi, me faire rapidement à cette idée. Avec toutefois un millier de questions dans ma tête. Dans quelles conditions les soignant·e·s prodiguent-ils·elles leurs soins ? Quelles sont les probabilités de contamination pour les nouveaux·elles né·e·s ? Les anesthésistes qui prodiguent les péridurales ne seront-ils·elles pas tous·tes accaparé·e·s par la réanimation de malades du Covid-19 ? 

Cette bousculade d’interrogations, je l’ai vécue comme une violence psychologique. Et puis, il y a eu cette phrase à l’autre bout du fil : « pas la peine de pleurer, vous êtes toutes logées à la même enseigne« , que m’a lancée une sage-femme après m’avoir annoncé que mon conjoint devrait partir après l’accouchement. Ses mots m’ont ébranlée. Quand j’ai raccroché, je me suis effondrée. Comment imaginer mon post-partum, isolée dans ma chambre d’hôpital ? Et si je subissais une césarienne ? Allais-je trouver la force d’allaiter ?

Dès le début de l’épidémie en France, certaines maternités ont instauré des mesures drastiques : pas d’accompagnant·e·s pendant les séances d’échographie, présence du futur·e parent·e en salle d’accouchement parfois autorisée (sauf en cas de césarienne), visites des proches interdites…

Le jour J, mon conjoint a pu assister à l’accouchement et passer quelques heures avec nous. Il changé la première couche, puis je suis restée seule. Mais, contrairement à de nombreuses femmes laissées seules avec leur valise et leurs contractions sur le parking de la maternité, j’ai au moins eu quelqu’un pour me tenir la main le temps de l’accouchement. Je mesure ma chance. 

 L’accouchement doit rester une expérience positive 
 

Début mars, les témoignages de femmes dont la maternité interdit à tout·e proche d’assister à l’accouchement se sont multipliés. Un article de Mathilde Blézat sur Reporterre montre par exemple que durant les premières semaines d’épidémie en France, de nombreuses femmes ont dû mettre leur enfant au monde seules, au mépris des traumatismes engendrés par un tel événement. 

Pourtant, comme le rappelle la juriste et autrice du blog « Marie accouche là » Marie-Hélène Lahaye, interdire aux parturientes d’être accompagnées en salle de naissance va à l’encontre des recommandations officielles de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). 

L’institution des Nations Unies a rappelé dès le début de l’épidémie sur Twitter que « le Covid-19 ne doit pas empêcher les femmes de vivre l’accouchement comme une expérience positive« , précisant que le fait d’être accompagnée par la personne de son choix représente l’un des cinq piliers d’un « accouchement respecté ». 

Une prise de position également défendue par le Collège national des Gynécologues et Obstétriciens Français (CNGOF), qui a souligné fin mars « la nécessité de faire conserver à l’accouchement sa composante humaine et familiale pour autoriser les pères, ou toute autre personne accompagnante, à y assister en période de Covid-19« .

Recommandations relayées par le gouvernement dans un avis rendu public le 31 mars et autorisant officiellement la présence de l’accompagnant·e aux accouchements. 

Un danger pour la santé mentale des femmes  

Alors pourquoi avoir interdit dans un premier temps aux femmes la présence d’un·e accompagnant·e pendant l’accouchement et pendant le service à la maternité ? Qu’est-ce qui justifie qu’elles soient isolées, privées d’un soutien moral, émotionnel et physique ? 

Car si les femmes sur le point d’accoucher obtiennent finalement le droit de se faire accompagner le jour J, se retrouver seules à la maternité juste après avoir mis leur enfant au monde n’en reste pas moins violent. 

Si l’on se réfère à la définition de l’Institut de Recherche et d’Actions pour la Santé des Femmes (IRASF), une violence obstétricale se caractérise (entre autres) par « l’absence de choix et de diversité dans l’offre de soin ». 

Or, le fait de refuser la présence d’accompagnant·e en salle d’accouchement et surtout pendant le reste du séjour à la maternité, laissant la femme seule et potentiellement exposée à une dépression post-partum, semble bel et bien s’apparenter à un manque de diversité dans l’offre de soins. 

Simone de Beauvoir nous mettait en déjà en garde dans son célèbre ouvrage Le Deuxième Sexe (1949) : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant« , écrivait l’essayiste française. 

Au nom « de la santé et de la sécurité », et en seulement quelques semaines, la crise du Covid-19 semble avoir relégué au second plan la santé mentale des femmes qui accouchent, le bien-être de leur bébé et, plus largement, celui de leur partenaire. 


Rester à l’écoute et explorer les solutions alternatives  


Presque deux mois après la survenue de l’épidémie en France et alors que le déconfinement se profile dans notre pays, les mesures de sécurité dans les maternités tendent enfin à s’assouplir. 

Quelles leçons retenir alors  de cette crise sanitaire inédite afin de mieux préserver nos droits à l’avenir ? Commencer par rester, encore et toujours, vigilant·e·s en soutenant celles et ceux qui se battent pour nos droits.

Le collectif Ciane et l’association Parents & Féministes, ont par exemple ouvert une plateforme d’écoute et des groupes de parole destinés aux futurs et jeunes parents afin de mieux cerner et de prendre en compte leurs besoins. Quant à Marie-Hélène Lahaye, elle plaide pour une plus grande diversité de soins et recommande notamment de proposer l’accouchement à domicile aux femmes enceintes.

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Publié par :Charlotte Arce

Journaliste indépendante

Un commentaire sur “Accoucher pendant une pandémie : jusqu’où peut-on aller “au nom de la sécurité“ ?

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